e-santé : la France cherche son rythme, les Français à comprendre
Balances, glucomètres, brosses à dents ou fourchettes connectés, bracelets et coachs e-santé… Les objets connectés nous entourent de plus en plus. La santé du futur, imaginées dans les films ou les livres d’anticipation, prend doucement mais sûrement forme sous nos yeux. Le point avec le bilan des Université d’été de la e-santé.
Bien-être et santé connectés : comprendre les enjeux
Comme le dit si bien Uwe Diegel, président de iHealth (le “Steve Jobs de la santé connectée) : “N’importe qui peut prendre une mesure de ses paramètres de santé ; ce qui est intéressant, c’est d’enregistrer et d’analyser ces mesures, et suivre l’évolution de sa santé en faisant du micro-management au jour le jour. Ainsi, il est plus facile de recadrer rapidement son comportement si nécessaire et d’opter pour une vie saine, plutôt que de se fixer de grands objectifs en début d’année et les abandonner aussi rapidement” (retrouvez son interview sur la chaîne TV de l’Université d’été).
Les objets connectés seraient donc les nouveaux coachs santé et bien-être du futur. Une vision partagée par Geoff Appelboom, neurochirurgien au Centre médical de l’Université Columbia de New York et co-fondateur de la plateforme FolUp de suivi patients via les objets connectés : “Selon moi, ils permettent de libérer les usagers de leurs angoisses en leur donnant une visibilité permanente sur leurs données de santé. Ne négligez pas la force de conviction qu’opère un bracelet connecté qui rappelle à son porteur d’aller pratiquer des activités sportives !” .
Cependant, comme le rappelle Uwe Diegel, il faut savoir faire la différence entre “bien-être connecté” et “santé connectée”, c’est-à-dire entre un tracker d’activité d’iHealth d’un côté et, de l’autre, le projet de semelle communicante actuellement développé par le Dr. Antoine Piau au CHU de Toulouse : “Cette semelle a pour but de prédire la perte d’autonomie chez les personnes âgées en mesurant leur marche, en détectant les chutes et en récoltant des données à pertinence médicale. Nous avons conçu un objet très simple, autonome en énergie, pour contourner l’incompatibilité habituelle des personnes âgées avec la technologie”.
Objets connectés et défis à dépasser
Guillaume Marchand, médecin psychiatre et Président co-fondateur de dmd Santé, identifie néanmoins trois problèmes spécifiques aux objets connectés : “Tout d’abord l’intérêt que représentent les données de santé récoltées, qui est à première vue insignifiant mais peut vite devenir crucial selon la façon dont les données sont utilisées. Deuxièmement la communication réalisée sur le marché des objets connectés, qui reste pour l’instant très grand public alors même qu’il s’agit d’un marché de niche et qu’il faudrait réorienter sa communication vers une logique plus professionnelle. Et enfin il y a un fort besoin de recommandation des objets connectés en fonction de leur valeur d’usage”. C’est à ce troisième problème que répond dmd Santé, en évaluant, avec sa communauté d’évaluateurs professionnels et grand public, les objets connectés actuellement sur le marché.
De son côté, Antoine Piau constate deux gouffres notables sur la question des objets connectés : “Il y a tout d’abord un grand écart entre ce qu’on entend dans les congrès professionnels et sur internet sur les avancées que permettent ces objets connectés, et la réalité chez des publics cibles comme les personnes âgées chez lesquelles on n’arrive pas à diffuser ces technologies. D’autre part, les différences entre ce que prétendent être et faire les objets connectés et ce qu’ils font vraiment traduisent un besoin urgent d’évaluation. Je crois très fort au quantified self mais il faut savoir le préserver”.
Le patient 2.0 et sa nouvelle relation avec le professionnel de santé
Avec ces objets connectés apparaît le patient 2.0, qui devient, pour Uwe Diegel, un “acteur de la santé publique, capable de gérer seul sa santé”, tandis que Geoff Appelboom parle de smart patient, un patient qui comprend mieux les enjeux en présence. Pour Antoine Piau, si la technologie apporte au patient une meilleure gestion et connaissance de sa pathologie, elle replace le médecin dans un rôle de conseil expert indispensable.
Et la question des objets connectés du point de vue des professionnels de santé ? “Aujourd’hui, ils utilisent de plus en plus les outils connectés dans leur pratique quotidienne, mais rares sont ceux qui pensent à prescrire, par exemple, une application mobile de santé à leur patient ni même à en parler avec lui. C’est là que la question de la formation entre en jeu, et va nécessiter une réflexion dans un futur proche” affirme Antoine Piau.
La santé connectée parviendra-t-elle à s’épanouir en France ?
Comme le souligne Guillaume Marchand: “On est en train d’instituer des freins réglementaires énormes face à la question des données récoltées par les objets connectés. On a tendance à faire peur aux usagers et à les informer uniquement sur les dangers et les dérives possibles, sans leur donner le reste des informations qui leur permettraient de comprendre clairement les enjeux”.
Pour Uwe Diegel : “Les données médicales et de santé n’ont pas d’intérêt en elles-mêmes, et les usagers ne devraient pas avoir peur de les voir leur échapper. Malheureusement aujourd’hui, on agite devant eux un fantôme qui n’a pas lieu d’être”.
Selon Geoff Appelboom, c’est en observant la culture du risque américaine, très différente de celle de la France, que l’on peut comprendre le phénomène : “Les Etats-Unis font preuve d’une plus grande ouverture envers les technologies, avec l’envie de simplifier les usages, d’aller à l’essentiel et de ne pas bloquer l’innovation. La logique du user engagement est mise en avant en permanence”.
Le verdict est tombé : si la France veut surfer sur la vague des objets connectés, aux côtés des autres pays concurrents, il faudra apprendre à lever le pied sur les appréhensions et s’engager sans retenue dans le mouvement.
Source : Université d’été de la e-santé