Centrale de Fukushima, quelles précautions prendre en France ?
La France est-elle menacée par un nuage radioactif ? La réponse tempérée et pédagogique du Professeur Jean-Claude Besnard, responsable du comité de radioprotection du CHRU de Tours au vu des événements en date du 21 mars 2011.
Pour se protéger correctement, il faut connaître l’origine et la nature du rayonnement ionisant. S’il s’agit de se protéger contre les radionucléides en provenance de la centrale de Fukushima au Japon, il est préférable d’attendre le résultat des mesures du réseau de surveillance de l’IRSN. En particulier, pour l’iode 131. Actuellement, la quantité d’iode 131 attendue en France, compte tenu de la concentration initiale au Japon, sera trop faible pour que la prise d’un comprimé d’iodure stable de potassium soit bénéfique. En revanche, saturer sa thyroïde sans raison n’est pas sans risque chez certaines personnes. C’est pourquoi il n’est pas envisagé, pour l’instant, de distribuer les pastilles d’iodure à la population de manière préventive.
Et si par malheur un accident de centrale nucléaire devait voir le jour à Fukushima au Japon, c’est-à-dire l’explosion du cœur d’un ou de plusieurs des réacteurs avec dispersion dans l’atmosphère de quantités considérables de produits dangereux pour l’homme, alors nous ne serions pas à l’abri de retombées radioactives mais nous aurions le temps de nous organiser et de nous informer au fur et à mesure. Nous n’en sommes pas là actuellement.
Qu’en est-il pour les habitants de la région de Fukyshima ?
Le tremblement de terre et le tsunami ayant endommagé les installations, la nuisance provient des produits de fission qui peuvent s’échapper sous forme d’effluents gazeux, particulièrement l’iode 131, le césium 137, le strontium 90, voire le plutonium 239 ou l’américium 241 selon la matière fissible utilisée. Ces produits se dissolvent dans l’eau de l’air et retombent plus ou moins vite autour de la centrale ou plus loin selon la température de l’air et la force des vents. L’absorption de ces radionucléides peut se faire en respirant l’air contaminé ou en consommant des légumes contaminés par l’eau de pluie. On parle alors de contamination interne par inhalation ou par ingestion qui provoque une exposition interne. À plus long terme, les animaux domestiques ou sauvages vont aussi se contaminer et la viande de ces animaux le sera donc lors de sa consommation. En particulier les champignons concentrent ces radionucléides. Sur le plan quantitatif, il faut savoir que ce qui est décrit ici ne devient réellement inquiétant que lorsque la quantité rejetée par la centrale est vraiment considérable. Cela a été le cas lors de l’accident de Tchernobyl. Et cependant, en dehors des personnes irradiées en travaillant à la centrale après l’accident et qui sont rapidement mortes à cause de cette irradiation, les seuls décès constatés sont à déplorer chez des enfants ayant reçus des doses importantes d’iode 131 ce qui a entraîné un certain nombre de cancer de la thyroïde. Cette glande est particulièrement sensible à l’irradiation chez le jeune enfant mais ne l’est pas chez l’adulte. En revanche, pour les nourrissons, il est légitime que les autorités de Tokyo recommande de ne pas utiliser l’eau de la ville car elle renferme maintenant des traces d’iode 131.
Et pour les populations plus éloignées ?
L’exposition interne diminue rapidement du fait de la dispersion des radionucléides par les vents, les courants ascendants et descendants. L’estimation de la concentration en iode 131 en provenance de la centrale de Fukushima au Japon par l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) est de l’ordre de 1 mBq/m3 (milli Becquerel par m3) d’air, soit 1 atome se désintégrant par 1000 m3 et par seconde. C’est absolument indétectable. Pour relativiser cette valeur, il faut savoir que la concentration maximum observée à Grenoble, après l’accident de Tchernobyl a été de 3000 mBq/m3 le 2 mai 1986, en juin elle était redescendue à 0,7 mBq/m3 alors que la radioactivité naturelle de l’air due aux descendants du radon, gaz radioactif généré par les traces d’uranium naturel dans le sol est de l’ordre de 10 000 mBq/m3.
Pour mieux comprendre, rappel des notions de base sur la structure de l’atome :
La matière qui nous entoure, la matière vivante de notre corps et de celle de tous les être vivants est constituée d’atomes. Les atomes, infiniment petits, sont constitués d’un noyau autour duquel gravitent des électrons un peu à la manière dont gravitent les planètes autour du soleil. Le noyau de l’atome, qui en constitue la masse principale, est formé de protons et de neutrons appelés nucléons.
C’est le nombre de protons qui caractérise un élément tel que le fer, l’oxygène, l’iode ou l’uranium. Pour un élément donné, donc un nombre de proton donné, il peut exister plusieurs noyaux ayant un nombre différent de neutrons : ce sont des isotopes de cet élément. Pour un atome donné, si le nombre de protons et celui des neutrons sont invariants dans le temps, il s’agit d’un atome stable. S’il peut se désintégrer avec une certaine probabilité, c’est un atome instable, appelé radionucléide ou isotope radioactif. Sa désintégration est la manifestation visible de cette instabilité qu’on appelle radioactivité. Il s’agit de radioactivité naturelle si les radionucléides concernés ont été incorporé au globe terrestre lors de sa formation ou de radioactivité artificielle si les radionucléides concernés sont produits par l’homme.
Un noyau stable est constitué d’un nombre précis de protons et de neutrons du fait de l’existence de forces de cohésions très forte. L’existence d’un ou plusieurs nucléons supplémentaires diminue l’intensité de ces forces de cohésions, ce qui revient à dire que l’énergie interne du noyau est augmentée. Retrouver la stabilité, c’est retrouver une énergie interne du noyau inférieure à celle existante. C’est ce qui se passe lors de la désintégration d’un atome : il y a réarrangement du noyau et l’excédent d’énergie interne résiduel part du noyau sous forme d’un rayonnement électromagnétique appelé rayon gamma ou g. Le réarrangement du noyau s’accompagne généralement d’une émission particulaire, soit un électron et il s’agit d’un rayon bêta– ou b–, soit un positon et il s’agit d’un rayon bêta+ ou b+, soit d’un noyau d’hélium et il s’agit d’un rayon alpha ou a.
Pour certains éléments instables, les forces de cohésions sont tellement faibles qu’il est possible, en plus du phénomène de désintégration, qu’une cassure en deux du noyau donne naissance à deux fragments de masses inégales. C’est le phénomène de fission qui est exploité dans les centrales nucléaires. La fission ne se produit spontanément que pour quelques éléments lourds tels que l’uranium, avec une très faible fréquence : dans 1 kg d’uranium naturel ne se produisent que quelques fissions par minutes. En revanche, il est possible de provoquer artificiellement cette fission en envoyant des neutrons dans le noyau de l’uranium. Seul l’isotope 235 de l’uranium est fissible alors que l’isotope 238 représente plus de 99 % de l’uranium naturel du fait de sa période beaucoup plus longue (4,5 milliards d’années). Ainsi une fission provoquée par un neutron donne naissance à 2 éléments différents (l’un de masse 90 à 100 tel le strontium 90 et l’autre de masse 130 à 140 tel l’iode 131 ou le césium 137), à une émission de rayonnements a, b et g, à 2,5 neutrons en moyenne ainsi qu’à une quantité d’énergie sous forme de chaleur. Les neutrons produits pourront chacun provoquer une nouvelle fusion, phénomène qu’il faut freiner pour ne pas déclencher une réaction en chaîne rapidement incontrôlable. Quant à la chaleur, elle est récupérée dans les centrales nucléaires pour produire de l’électricité.
Interactions des rayonnements avec la matière
Si un rayonnement interagit avec la matière, par exemple le corps humain, c’est qu’il y a transfert d’énergie avec un ou plusieurs atomes de l’organisme. Ce qui est dangereux, chez l’homme mais également pour toute la matière vivante, c’est qu’une grosse quantité d’énergie soit transférée dans un tout petit volume de matière, par exemple dans une cellule du corps et même plus précisément dans le noyau de celle-ci.
Une telle situation peut se produire si on est soumis à un flux important de rayon g, par exemple en étant tout près d’une source très importante de substance radioactive. Cela peut être le cas de travailleurs s’approchant d’éléments du cœur d’une centrale nucléaire où le débit d’équivalent de dose peut être de l’ordre de plusieurs centaines de sieverts par heure (Sv/h). Dans le cas de rayon g, le sievert correspond à la nuisance provoquée par le transfert d’un joule (quantité d’énergie) à 1 kg de matière, c’est-à-dire le transfert d’1 Gray (Gy). Ce transfert d’énergie correspond à une irradiation, c’est-à-dire à une exposition externe de l’individu. Pour donner un ordre de grandeur, en imagerie médicale, le débit de dose d’un scanner de radiologie expose le corps du patient à une irradiation de l’ordre de 100 mSv/h (0,1 Gy/h), l’exposition du patient à chaque endroit ne durant que quelques secondes. Pour l’irradiation de travailleurs dans une centrale, en cas d’accidents, il peut y avoir en plus de rayons g des neutrons pour lesquels le facteur permettant de passer des Gy aux Sv n’est plus égal à 1 mais varie de 5 à 20 selon le type de neutrons. Il faut savoir que le risque vital se discute lorsqu’une personne reçoit une dose dépassant le sievert, la dose létale 50% étant de l’ordre de 4,5 Sv (dose pour laquelle on observe 50 pour 100 de décès).
Sources : CHU Tours, www.reseau-chu.org