Adolescence: agressif à 12 ans… délinquant à 15 ?
Une étude de l’Université de Montréal, menée par Eric Lacourse chercheur en sociologie, démontre que des jeunes au comportement agressifs ont 3 fois plus de risques de devenir des délinquants graves à l’adolescence.
Les préadolescents qui volent, détruisent les biens d’autrui, se battent, intimident, taxent et manifestent d’autres symptômes du trouble de la conduite courent 6 fois plus de risques de vendre de la drogue que les autres enfants à leur entrée dans l’adolescence. Les risques d’adhérer à des gangs de rue sont 9 fois plus élevés, ceux de porter une arme 11 fois plus grands et ils risquent 8 fois plus que les autres jeunes d’être appréhendés par la police. C’est ce qui ressort d’une étude menée par le chercheur en sociologie Éric Lacourse au terme d’une analyse de la trajectoire de jeunes Canadiens dont les résultats paraissent ces jours-ci dans le Journal of Child Psychology and Psychiatry.
Une méthodologie rigoureuse
L’analyse effectuée par Éric Lacourse sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant (GRIP), en collaboration avec des grands noms de la discipline (dont Richard E. Tremblay et Frank Vitaro, de l’Université de Montréal), a suivi 4125 sujets de jeunes de 12 et 13 ans sur plus de deux années.
Grâce à une méthode élaborée dans le cadre de ce travail, on a pu classer les jeunes selon certains symptômes assez précis témoignant de différents troubles de la conduite. Quand on isole les jeunes aux comportements inquiétants (ceux qui sont présentés au début), on voit clairement l’origine de la future délinquance. Mais les chercheurs vont plus loin en regardant attentivement les autres indicateurs de la délinquance. «Les enfants qui ont des troubles de la conduite sans faire preuve d’agressivité comme le vol à l’étalage ou le vandalisme sont aussi beaucoup plus à risque que les autres d’adopter des comportements délinquants graves à l’adolescence. Ils courent par exemple trois fois plus de risques de vendre de la drogue, quatre fois plus de faire partie d’un gang de rue et trois fois plus d’agresser quelqu’un avec une arme.»
Toutefois, comptant pour 13,9 % de la population, ces jeunes sont beaucoup plus nombreux que leurs pairs agressifs (2,3 %) ou ceux aux comportements délinquants agressifs et non agressifs, soit 1,4 % de la population.
Une nouvelle approche des «troubles de la conduite»
L’étude présente une nouvelle approche qui permet la désignation plus rigoureuse de groupes affichant les comportements regroupés sous l’appellation de «trouble de la conduite», une variante des troubles du comportement au même titre que l’hyperactivité ou le déficit d’attention.
Mais, selon Éric Lacourse, la définition du trouble de la conduite selon la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (ou DSM-IV) est à revoir. Cet outil de référence en santé mentale, dont la réédition révisée est prévue pour 2013, considère le trouble de la conduite comme une combinaison d’au moins 3 symptômes sur une liste de 15. «La liste est en partie inadéquate, car elle ne s’applique pas à certains cas, et en partie non pertinente parce qu’elle permet plus de 30 000 possibilités », précise-t-il.
Le critère de l’agression sexuelle, par exemple, est pertinent chez des adolescents pubères et des adultes mais pas chez des enfants de 11 ou 12 ans, explique le chercheur. Par ailleurs, sur 15 symptômes, certains peuvent être plus utiles que d’autres. «Nous sommes comme devant une immense salade de fruits. Notre rôle consiste à en extraire les pommes et les oranges», illustre-t-il.
L’équipe du GRIP s’est donc penchée sur les plus pertinents des symptômes. «Depuis une dizaine d’années, les spécialistes s’interrogent sur la définition des troubles de la conduite dans le DSM. Je crois qu’elle n’est pas assez précise. Nous suggérons de la centrer sur des symptômes vraiment significatifs.»
Mais le chercheur en appelle à d’autres études pour déterminer lesquels. «Il est clair que les jeunes délinquants forment des groupes hétérogènes qu’il faut observer de près. Sur le plan de l’intervention, c’est une clientèle difficile qui ne se laisse pas approcher facilement. Notre étude démontre que les trajectoires sont variées et souvent tracées d’avance.»
Prévenir les risques
«À 12 et 13 ans, les comportements qui portent à la délinquance grave sont bien connus, dit-il. Toutefois, les programmes d’intervention sont surtout destinés aux enfants plus jeunes et presque rien n’est fait pour venir en aide aux adolescents qui sont sur une pente dangereuse.» La délinquance peut être prévenue, pourvu qu’on puisse en détecter les signes précurseurs chez les préadolescents. Et intervenir à ce moment-là.
Des recherches sur l’intervention dans les communautés pour réduire la désorganisation sociale, notamment dans le contexte d’activités de loisir parascolaires et d’une supervision accrue, sont encourageantes, estime Éric Lacourse.
Source : Université de Montreal