Cancer colorectal: pour que le traitement ne soit plus synonyme d’hypersensibilité au froid
Mettre des gants avant d’ouvrir le réfrigérateur. Éviter le rayon frais des supermarchés. Voici la réalité pour la quasi-totalité des patients atteints de cancer colorectal et traités par chimiothérapie avec de l’oxaliplatine. Cet effet secondaire, une hypersensibilité au froid, pourrait être prévenu suite aux travaux coordonnés par Emmanuel Bourinet, directeur de recherche CNRS à l’Institut de génomique fonctionnelle (CNRS/Inserm/Universités Montpellier 1 et 2).
Une molécule déjà commercialisée en France pour traiter l’angine de poitrine permet en effet de restaurer le seuil normal d’excitabilité des neurones sensibles au froid. Ces résultats sont publiés le 23 mars dans la revue EMBO Molecular Medecine.
Le cancer du côlon est le troisième cancer le plus fréquent en France, avec près de 40 000 nouveaux cas estimés en 2010. Son traitement par chimiothérapie est, entre autre, basée sur l’administration d’oxaliplatine. Mais pour 95% des patients, cette molécule induit dès les premières perfusions une hypersensibilité aux températures fraîches et froides, entraînant des picotements dans les extrémités des membres. Cet effet indésirable prévisible est si incommodant que certains patients réduisent, voir cessent, leur chimiothérapie. Aucun traitement préventif n’existe en effet à ce jour.
Une équipe de chercheurs montpelliérains (1), en collaboration avec leurs collègues clermontois (2) et niçois (3) ont montré que, comme chez l’homme, l’oxaliplatine provoquait chez la souris une hypersensibilité au froid. Basé sur une approche comportementale, ce résultat a été confirmé in vitro par imagerie sur les neurones sensoriels isolés. L’étude moléculaire de ces neurones a mis en évidence une différence au niveau des canaux ioniques qui régulent le courant électrique véhiculant l’information (4). Les neurones prélevés sur les animaux traités à l’oxaliplatine ont moins de canaux inhibiteurs et plus de canaux excitateurs que les neurones issus d’animaux témoins, expliquant ainsi leur plus forte excitabilité.
L’implication des canaux ioniques excitateur dans cette hypersensibilité au froid a été confirmée par l’utilisation d’une molécule inhibitrice de ces canaux : l’ivabradine. In vivo et in vitro, l’ivabradine a restauré le seuil normal d’excitabilité des neurones activés par le froid. Et ce, sans effets sur les autres populations de neurones sensitifs tels que les recepteurs du toucher. Cette molécule, déjà employée en clinique pour traiter l’angine de poitrine, pourrait se révéler être intéressante comme traitement préventif de la neurotoxicité aiguë de l’oxaliplatine chez les patients atteints de cancer colorectal.
Source : CNRS
Notes :
(1) A l’Institut de génomique fonctionnelle (CNRS/Inserm/Montpellier 1 et 2)
(2) A l’Univeristé d’Auvergne (Pharmacologie fondamentale et clinique de la douleur)
(3) A l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire (CNRS/Université de Nice)
(4) Les canaux ioniques contrôlent les échanges d’ions de part et d’autres de la membrane des neurones. Ce sont ces échanges qui régulent la création, ou non, du courant électrique véhiculant l’information entre les neurones.
Références :
Oxaliplatin-induced cold hypersensitivity is due to remodeling of ion channel expression in nociceptors, Juliette Descoeur, Vanessa Pereira, Anne Pizzoccaro, Amaury Francois, Bing Ling, Violette Maffre, Brigitte Couette, Jérôme Busserolles, Christine Courteix, Jacques Noel,Michel Lazdunski, Alain Eschalier, Nicolas Authier, Emmanuel Bourinet. EMBO Molecular Medecine, publication en ligne le 23 mars 2011